Alors que les fruits et légumes guyanais se vendent sur les étals des marchés à des prix parfois étonnants, on se rappelle qu’il n’y a pas si longtemps l’ananas se vendait à la pièce et non au kilogramme et qu’il n’atteignait pas le prix record de 4 euros voire davantage le kilogramme !

Un fruit si courant en Guyane, endogène, de surcroît, de nos territoires, devient une denrée de luxe. L’ironie de l’histoire est que la variété la plus cultivée au monde de manière quasi exclusive s’appelle « Cayenne lisse » ou « Sweet Cayenne » ou encore « Smooth Cayenne ». Comme pour le poivre et le piment, la Guyane ne serait-elle connue dans l’univers agricole international que pour ce qu’elle ne cultive pas, plus ou peu ? De quoi nous inciter à cultiver notre jardin.

Nanninannan, les terres de Montsinéry-Tonnégrande créèrent des spécimens énormes, dont la presse locale se fit écho et dont les grandes personnes se souviennent encore.

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Fig. 1 : Une du journal « La Guyane » du 15 septembre 1934.
(c) Archives départementales de Guyane.

Ainsi, le journal La Guyane afficha à sa une du samedi 15 septembre 1934, n° 316, une note de Désiré Adam, ingénieur d’agronomie coloniale, chef du service de l’agriculture de la Guyane française, sur un ananas phénoménal récolté à Montsinéry, qui lui fut exposé à Cayenne dans la vitrine de la Librairie-papeterie Emilio Gratien.

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Fig 2 : Un ananas phénomène en Guyane française
(c) Archives départementales de Guyane.

De la commune de Montsinéry nous recevions cette semaine un ananas phénomène pesant plus de 9 kilos. Cet ananas que l’on a pu voir ces jours derniers à la vitrine de la papeterie-imprimerie Gratien avait la forme d’un éventail ouvert d’un rayon moyen de 20 centimètres et d’une épaisseur de 12 centimètres. De nombreuses têtes le couronnaient. Plus de 250 ont été dénombrées. Bien entendu il ne s’agit là que d’une curiosité botanique et non d’une variété capable d’être sélectionnée pour en obtenir une lignée intéressant la consommation.

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Fig. 3 : L’ananas phénoménal
(c) Collection privée.

Mais au point de vue cultural, ce phénomène est une preuve de plus de la force végétative des ananas en Guyane. Ce n’est un secret pour personne que l’ananas pousse admirablement ici, partout dans la brousse on en rencontre à tous les pas. Ce que l’on sait moins, c’est que la fameuse variété qui donne naissance à une grande partie du commerce mondial de l’ananas est précisément originaire de la Guyane et porte le nom de « Smooth Cayenne ». Mais hélas ! C’est en vain que nous pourrions chercher sur les statistiques d’exportation la présence de ces ananas. Comme pour bien d’autres cultures, d’autres s’enrichissent avec des produits qui sont originaires de notre colonie et qui ont souvent contribué à assurer sa prospérité dans le temps passé.

Le développement bananier de la colonie, actuellement en pleine voie de réalisation est une preuve indéniable que l’activité et le goût pour la culture de la population guyanaise ne sont pas définitivement éteints. Demain grâce à ce mouvement nous serons sans doute desservis par des bateaux réfrigérés, qui tous les 10 à 15 jours effectueront un service direct sur France. Ne perdons pas de vue qu’alors en même temps que la banane, ananas, orange, mangue, etc., pourraient prendre le chemin de l’exportation pour le plus grand bien du pays qui deviendrait ainsi pour la France un véritable jardin fruitier colonial.

Cayenne, le 12 septembre 1934.

Dans son ouvrage El Dorado. La Guyane française agricole, publié en 1936, Adam reprend cet ananas de Montsinéry comme l’une des réussites de l’agriculture fruitière d’exportation, « appelée à prendre un grand développement ». Les terres de Guyane, légères et humifères, sont favorables au roi des fruits. Les variétés cultivées sont le « Smooth Cayenne » et le « Maïpouri », très fruitées et sucrées, ainsi que le petit ananas sauvage, qui a donné son nom à plusieurs lieux de Guyane.

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Fig. 4 : Une plantation d’ananas (vers 1934).
(c) Collection privée.

Plus récemment, le plan Vert (1975-1982) permit l’établissement de la société Pouget, spécialisée dans la production et l’exportation de fruits exotiques, à Macouria, où sur plus de 400 hectares elle exporta l’ananas de Cayenne. En mai 1990, le groupement d’intérêt économique Ananas Cayenne lisse Guyane lui succéda.

Mo pa ni rwè ni rèn, mo gain kouronn ?
… Nannan !

Kristen Sarge