La rentrée scolaire a sonné dans la commune de Montsinéry-Tonnégrande le 02 septembre dernier. Les groupes scolaires de Tonnégrande et Montsinéry ont fait le plein d’élèves, de professeurs des écoles et d’aides éducatifs.

En 1937, presque à la même époque était publié le compte-rendu de la distribution des prix aux écoliers de Montsinéry. En présence du gouverneur de la colonie Véber, le maire de Montsinéry, Louis Théodore, prononce un discours de bienvenue et d’encouragement. Son adresse aux enfants commence par les mots « vous voilà donc arrivés à la fin d’une année scolaire ». Nous sommes le 15 août 1937.

La rentrée scolaire se faisait en octobre voire novembre en fonction des communes. L’année scolaire était donc décalée par rapport à la situation actuelle. Elle se terminait par une remise des prix au mois d’août, dont les récipiendaires avaient l’honneur de voir figurer leur nom et leurs mérites dans le Journal officiel de la Guyane française dans les premières semaines de septembre.

La Voix du Peuple, journal du député Gaston Monnerville, soutenu par Louis Théodore, se fait l’écho de cette cérémonie à Montsinéry qui, semble-t-il, avait quelque peu été oubliée (n° 308, dimanche 5 septembre 1937, p. 2-3).

« La jolie distribution des prix à Montsinéry a été un succès. Le maire, notre ami Louis Théodore y avait convié tous les notables et le chef de la colonie, pour marquer l’intérêt qu’il porte aux enfants des communes rurales, avait tenu à assister à « cette jolie fête de famille » (l’expression est de lui).

Les enfants de Montsinéry ont été exquis et nous souhaitons que l’idée du concours général exposé naguère par notre chef de parti Darnal se réalise pour le plus grand bien de tous les petits Guyanais qui vivent loin du chef-lieu.

Commune de Montsinéry
Distribution des prix
Dimanche 15 août 1937

PROGRAMME

1/ Marseillaise (musique)
2/ Discours
3/ Chant Jour des prix
4/ La leçon de français ; Les deux rivales
5/ Prix offerts (musique)
6/ Ne remettez pas à demain (dialogue)
7/ Prix d’honneur (musique)
8/ La fête de Mademoiselle (épilogue en 1 acte)
9/ Prix du cours préparatoire (2e groupe)
10/ Un mauvais sujet
11/ Prix du concours préparatoire (1er groupe)
12/ La redingote (acte en 4 scènes)
13/ Prix du cours élémentaire
Chant Pour être heureux sur la terre.

Discours du maire

Monsieur le Gouverneur,
Mesdames, Messieurs,
La date d’une distribution de prix à Montsinéry se perd dans la nuit des temps ! Nos enfants avaient fini par oublier complètement cette belle tradition qui permet d’accorder aux meilleurs la récompense de leurs efforts.

Après avoir présidé cette solennité pour les élèves du collège, notre premier établissement scolaire, vous avez cru bon, Monsieur le Gouverneur, de donner aux enfants de ma commune une preuve réelle de la considération que vous avez pour « tous les petits Guyanais », sans distinction.
Au nom de la population de Montsinéry, veuillez recevoir nos plus vifs remerciements.

Chers enfants,
Vous voilà donc arrivés à la fin d’une année scolaire au cours de laquelle votre dévouée institutrice s’est efforcée de vous inculquer les premières notions de lecture, d’écriture, de grammaire, d’arithmétique. Elle vous aura sans doute parlé également de « la nécessité de l’effort quotidien » ; plus tard, les premiers éléments reçus à l’école seront indispensables à remplir consciencieusement vos devoirs envers vos parents, envers la société et envers la Patrie française.

Le but de l’instruction est de nous amener à comprendre cette chose infiniment complète qu’on nomme : « la Vie ».
A votre âge elle vous paraît relativement belle, parce que le jeu et les plaisirs sont pour vous la grande affaire et vous en ignorez les dessous mystérieux. Nous ne voudrions pas détruire vos illusions et faire de vous déjà « de jeunes petits vieux », trop vieux pour votre âge.

Nous vous demandons seulement de penser aux sacrifices de vos parents. Pour répondre à leurs espoirs, vous devrez travailler à votre tour, car seule l’instruction vous permettra de dominer votre métier. Combien d’entre vos parents seraient heureux des services que vous pourriez leur rendre à la maison, à l’abattis ou dans la forêt ? S’ils font le sacrifice de vous envoyer à l’école, c’est qu’ils n’ignorent pas qu’on n’est pas un homme complet quand on ne sait pas lire, quand on ne sait pas écrire.

Le développement de votre intelligence mes chers enfants, vous permettra de reconnaître que tous les métiers « sont honorables » lorsqu’ils sont exercés par des hommes honnêtes, qu’il n’y a pas, comme dit le proverbe, de sot métier, mais de sottes gens !

Seule l’honnêteté permet de classer les hommes, ceux qui comme vos parents travaillent de leurs mains et ceux qui travaillent de leur cerveau, sont tous admirables du seul fait qu’ils travaillent. Les paresseux sont comme le gui et certaines lianes parasites que l’on détruit. Ils n’ont pas leur place parmi les honnêtes gens et ils vivent aux dépens de la société, comme ces plantes vivent du suc des arbres qui les portent.

Les autres vivent de combinaisons plus ou moins louches parce qu’ils ont dans les deux mains de longs poils qui les empêchent de travailler.
Ne souriez pas mes enfants, la profession de vos parents est parmi celles qui honorent l’humanité : le cultivateur nourrit son semblable. Quel plus noble métier que celui qui permet aux hommes de manger !

Pourrait-on imaginer un pays où les ouvriers de la terre seraient en chômage ?
Oui, certes, le métier est rude, mais aussi il forme le caractère, car il apprend à lutter contre les intempéries des saisons, la terre dure et les animaux sauvages.

Il faudra apprendre à lutter mes enfants contre la paresse, mauvaise conseillère, la mère de tous les vices ; il faudra lutter contre les mauvais conseils. La vie n’est qu’une lutte de tous les instants. Ne pas lutter, c’est attendre la mort, les bras croisés !
Mais il est une lutte beaucoup plus importance que j’aurais voulu vous voir entreprendre, c’est celle qui consisterait à fermer vos oreilles aux conseils de ceux qui vous incitent à quitter votre commune pour aller vivre à la ville.

Oh ! Je sais, bien des tentations des plaisirs vous attirent là-bas, mais aussi que de pièges cachés sont tendus sous vos pas, que de misères et de privations vous guettent, sournoisement ; vous regretterez bien vite votre commune, c’est-à-dire les égards, les attentions dont vous êtes l’objet de voisins et d’amis, de parents qui vous ont vu naître, grandir et qui vous aiment du fond du cœur. Restez à côté d’eux, car c’est auprès d’eux que vous trouverez joie et bonheur.

A vous, Madame l’Institutrice, dont le zèle et le dévouement ont été hautement appréciés, l’honneur d’avoir donné à notre petit monde le goût de l’étude. Vous avez su intéresser ces jeunes écoliers qui ne demandaient qu’à prendre la clé des champs et des forêts. Vous avez bien gagné le congé qui vous permettra de vous reposer.

Et vous mes petits amis, partez en vacances d’un cœur léger, car vous aussi, vous les avez bien gagnées par votre application soutenue. De beaux livres vont bientôt vous récompenser. Et lorsque la cloche de l’école vous rappellera au mois de novembre, venez gaîment reprendre votre place avec le vif désir de devenir un jour des hommes loyaux, de courageuses mères de famille, de bons Guyanais qui aiment la France et la République. »