Histoire

Dès 1887, le Laos, le Cambodge et l’ensemble Annam-Tonkin, protectorats français, formaient l’union indochinoise. Ce statut qui allait vite évoluer vers une forme coloniale, devait contenir les compétences de la France aux seuls domaines de la défense et des affaires étrangères. Peu à peu, les fonctionnaires français en poste dans ces régions envahissent les différentes instances politiques et économiques, et le pouvoir sur l’Union est de fait conquis par le gouverneur général.

La politique coloniale connaît un durcissement qui mène au soulèvement de Yen-Bay le 10 février 1930. Le gouverneur Pasquier décide alors d’éloigner les « éléments subversifs » en les dirigeant vers des terres lointaines.

La création en Guyane du territoire autonome de l’Inini, par décret du 6 juin 1930, permet à Pasquier de donner acte à sa décision. Les conditions étaient remplies pour l’arrivée en avril 1931 de plus d’une centaine de prisonniers politiques et de plus de 400 condamnés de droit commun : l’installation des camps s’impose alors.

Lorsque les indochinois déportés arrivent en Guyane, après une traversée de 35 jours sur « la Martinière ils sont d’abord placés au pénitencier de la pointe Buzaré. A la suite de troubles violents, les prisonniers sont déportés le 19 septembre 1931 vers les établissements en construction, un peu plus de cent prisonniers sont ainsi envoyés à « la Forestière, les autres (395) rejoignent le camp de la Crique Anguille.

Géographie

Ce site se trouve à 45 km à l’est de Cayenne, sur le territoire de la commune de Montsinéry-Tonnegrande. La superficie proposée à l’inscription représente environ 414 hectares de forêt secondaire coupée de clairières.

L’intérêt du Bagne des Annamites réside dans son caractère historique : entre 1931 et 1946, il a accueilli 525 prisonniers indochinois venus de Saïgon et d’Hanoï. Dénommé à l’époque « Camp de la Crique-Anguille, car implanté à proximité de cette crique, cet établissement pénitentiaire spécial relevait du territoire autonome de l’Inini.

La végétation recouvre partiellement ces vestiges, certains murets s’écrouleront à terme sous la poussée des racines ; d’autres ruines se trouvent déjà enfouis donc difficilement repérables. Si le site a fait l’objet de quelques aménagements à des fins touristiques réalisés par le Conseil Général (plancher en bois permettant de traverser les zones inondées en saison des pluies, panneaux d’information (détériorés)) les vestiges eux-mêmes ne bénéficient pas d’un entretien régulier. La gestion du site pourrait largement être améliorée à la suite de son inscription.

La procédure relative à l’inscription du Bagne des Annamites a fait l’objet d’une nouvelle consultation de l’ensemble des services de façon à être représentée prochainement en CDSPP sur la base d’un consensus. Le dossier a été transmis en février 2004 au Ministère pour l’inscription.

Pour découvrir le patrimoine de notre commune, cliquez sur un des sites suivant pour obtenir plus d’informations :

Eglise de Montsinéry

Cimetière Risquetout

Les Huîtres de Montsinéry

Les élections municipales de 1971

La création du poste radiotéléphonique de Tonnégrande

L’habitation Risquetout

Les documents du mois

Visite du bagne des Annamites en 1934 :
suivez le guide !

Sous le pseudonyme Taureau « Cornes cassées », un responsable de la section de Cayenne des Eclaireurs de France (troupe Schœlcher), dont le président est Samuel Chambaud, relate dans la livraison du 02 juin 1934 du journal La Guyane, une visite de l’établissement pénitentiaire spécial (EPS) de la crique Anguille, ouvert en 1931 pour accueillir les déportés de l’Indochine. Dans la livraison suivante du même journal (09 juin 1934), un autre témoignage, anonyme, fait également état de cette visite menée sous la direction du capitaine Jourdan.

Au-delà de leur aspect élogieux voire angélique, on prendra beaucoup d’intérêt à lire ces comptes rendus pour la description des aménagements, en général, et du camp aux trois collines, en particulier, dont les vestiges sont en grande partie aujourd’hui recouverts par la forêt : le port Inini et la voie ferrée Decauville qui mène au camp, les champs de culture, les bâtiments, l’environnement naturel…

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(c) Archives départementales de Guyane.

Archives nationales d’outre-mer, POM 544E, La Guyane, 18e année (n. s.), n° 304, samedi 02/06/1934

Excursion à l’Inini

Le lundi de la Pentecôte une excursion avait été organisée pour les Eclaireurs de France en vue de visiter le camp de la « Crique Anguille ». Sous la conduite du chef de cabinet du Territoire de l’Inini, M. Souvant, dont nous avons pu apprécier en cette occasion toute l’amabilité, et de notre commissaire régional, nous quittons Cayenne à 7 heures, à bord d’une vedette de l’Inini. Bonne marcheuse, la vedette passe la pointe Macouria à 7 h 20 et nous nous engageons dans la rivière Tonnégrande. Au bout de deux heures agréablement passées à remonter cette rivière, nous atteignons le bourg de Tonnégrande, où de nombreux habitants amassés sur l’appontement nous souhaitent la bienvenue. Sous la conduite de Monsieur Madère, nous faisons le tour du village, bien situé mais malheureusement dans un état d’abandon regrettable.

« Attention, ne vous appuyez pas », dit le commissaire ; c’est, en effet, prudent, car les barres de fer de la main courante de l’appontement, rongées par la rouille, ne sont plus que des souvenirs.

Nous reprenons notre route et une demi-heure après nous arrivons à Port-Inini où nous débarquons. Nous sommes immédiatement frappés d’admiration devant le gigantesque travail que représente l’appontement sur lequel nous marchons et qui mesure 250 mètres de long sur 3 de large. Travail intelligent et nouveau ici car les pieux, bien qu’étant faits de bois dur, n’ont pas été enfoncés dans la vase, mais enchâssés dans des traverses fixées sur une base faite de rondins, placées côte à côte et formant une assise solide. Ce travail en tout point merveilleux a été fait en cinq mois par une équipe de 21 ouvriers annamites.

Près du débarcadère se trouvent la gare et les bâtiments du personnel chargé de la surveillance de cette partie du territoire. Une magnifique route de 4 kilomètres 500 relie le débarcadère au camp. Une ligne téléphonique et une voie Decauville ont été posées.Comme nous devons parcourir la route à pied, le capitaine Jourdan, aimablement venu à notre rencontre, met à notre disposition un sergent pour nous guider et nous renseigner. L’agréable conversation de ce sous-officier révèle une connaissance approfondie des choses de la région. Des deux côtés de la route, pas de terrain inculte, rien que des plantations : légumes, arachides, patates, ignames, maïs, d’interminables treilles de concombres et une magnifique rizière bien aménagée. Sous la conduite de notre sympathique guide, nous visitons l’ancien débarcadère situé en amont du nouveau. Il a dû être abandonné, parce qu’à la saison sèche des roches à fleur d’eau en rendaient l’accès périlleux.

Reprenant la route du camp, nous voyons des scieries où d’énormes tronçons successivement les ponts du « Mouton enragé » du « Mouton paresseux » (A quand leur histoire ?) et celui de la crique Anguille, respectivement de 80, 60 et 25 mètres. Emerveillés par la belle nature de ces travaux de colonisation, nous marchons allègres, regardant tout autour de nous. Soudainement trois belles collines nous apparaissent, détachant leur silhouette rouge brique sur le fond des grands arbres verts ; c’est le « camp Inini ». Bel emplacement pour un camp, un village même, tout en l’honneur de ceux qui l’ont choisi. Placé sur le plateau de ces trois collines, qui forment une séparation naturelle entre les divers bâtiments, le camp compte 23 grandes maisons. Sur la colline de droite se trouvent les bâtiments des sous-officiers et des tirailleurs sénégalais, préposés à la surveillance des transportés annamites. Sur celle du milieu sont construites les maisons du capitaine et de ses officiers. Cette colline est la plus belle de toutes, car de jolis parterres de fleurs aux couleurs vives donnent au regard une agréable sensation.

Hourra pour le capitaine dont les durs labeurs n’empêchent pas de fleurir son exil.

Sur la dernière colline sont placés les bâtiments des Annamites. Ils sont entourés d’une haute palissade autour de laquelle des sentinelles montent une garde vigilante. Rien n’a été négligé pour rendre moins pénible l’isolement aux officiers et sous-officiers qui aident le capitaine dans sa tâche de colons. On trouve, en effet, un court de tennis, un ping-pong, un billard.

Nous demandons alors au capitaine Jourdan quelques renseignements.

« De même que la ville de Cayenne n’est pas toute la Guyane, nous répond cet officier, la crique Anguille n’est pas tout le Territoire de l’Inini ».
« Il est bien certain qu’actuellement le chef-lieu de la circonscription du centre est plutôt un camp pénitencier, mais il fallait bien installer quelque part les transportés qui nous venaient d’Indochine. Aujourd’hui l’expérience est faite. Vous avez vu le défrichement effectué, les constructions établies, les 35 hectares de cultures vivrières en rapport, les ponts, la voie ferrée, etc. Tout s’est fait sans bruit, sans polémique stérile. La vie de la circonscription marche heureusement avec un minimum de paperasses, une administration trop lourde, calquée sur celle de l’A. P. [administration pénitentiaire], aurait risqué d’entraver et de compromettre la réalisation du but poursuivi. Du reste, le Territoire de l’Inini n’est pas colonie pénitentiaire et ne doit pas l’être. Le gouverneur Lamy qui a été broussard à Madagascar connaît les difficultés du travail, il sait donc donner à bon escient les directives, il voit large et juste.

Je sais, d’autre part, que je puis compter sur mon ex-collègue du Tchad, aujourd’hui chef de cabinet du Territoire de l’Inini, pour m’éviter toutes les formalités bureaucratiques, car il fut lui aussi broussard africain. Peu de paroles, encore moins de papiers, des actes, c’est tout ce que je puis vous dire », termina le capitaine Jourdan, qui très aimablement nous convia à visiter le nouveau chef-lieu administratif du Sinnamary qu’il espère inaugurer au début de 1935.

Pour l’Inini, pour les officiers de la crique Anguille : Hip hip hip ? Hourrah !

Taureau « Cornes cassées ».

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(c) Kristen Sarge (2011).

Archives nationales d’outre-mer, POM 544E, La Guyane, 18e année (n. s.), n° 305, samedi 09/06/1934

De la crique Anguille au saut Tigre

Je suppose que la crique Anguille porte ce nom parce qu’elle est tortueuse et que le saut Tigre nommé ainsi parce qu’il est dangereux parfois à franchir. Nous laisserons pour le moment ces deux dénominations qui ont certainement leur importance pour aborder la question de [la] colonisation en Guyane au moyen de la main d’œuvre indochinoise. Depuis mon jeune âge, j’ai toujours entendu parler de capitaux qui manquent pour relever cette colonie et de la pénurie de main d’œuvre pour transformer ses vastes savanes et forêts en terres cultivées.

Enfin, cette main d’œuvre tant désirée nous a été consentie. Un convoi de 500 Indochinois a été envoyé en Guyane et dirigé sur la crique Anguille non pas pour s’amuser mais pour y travailler. Bien entendu les premiers mois, disons plutôt la première année, qui a suivi son arrivée, devait être employée à des travaux de toutes sortes : défrichement, constructions diverses, bâtiments des chefs, des tirailleurs sénégalais, des Indochinois, dépôts de vivres, piste carrossable avec installation d’une ligne téléphonique, construction de ponts et ponceaux, travaux de menuiserie, fabrication de tables, de chaises, de buffets, de literie, etc. etc.

Tous ces travaux préparatoires accomplis, on a songé aux cultures les plus indispensables, cultures vivrières, patate, igname, maïs, légumes de toutes sortes. La crique Anguille, après deux ans d’existence, est devenue un coin si charmant qu’on demanderait à y passer le reste de sa vie, si ce n’était un pénitencier inaccessible aux personnes étrangères au service de l’Inini. Où se trouve cette crique Anguille ? Quels sont les travaux qui ont été accomplis ?

Située dans le fleuve de Tonnégrande, elle est en amont du bourg de ce nom. Pour y arriver, il faut, en partant de Cayenne, longer la rive gauche du fleuve Tonnégrande. Après 2 heures environ de voyage par canot automobile, on débarque sur un pont de 250 mètres de long. Il est fait en bois de première qualité, les madriers ont environ 8 centimètres d’épaisseur. Des garde-fous solidement placés assurent la sécurité de ceux qui le fréquentent. A l’extrémité de ce pont, placé à même de ruban, le marécage qui sépare le fleuve de la terre ferme, on aperçoit un hangar de 12 mètres de long. C’est un abri couvert en bardeaux, revêti en planches, qui donne l’impression d’un tunnel quand on le regarde du fleuve.

La terre ferme est couleur de brique ; elle était criblée de petits mamelons qui ont été aplanis. Ces habitations servant de dépôts divers, de logements sont placées là avec une symétrie parfaite.Tout autour on voit la forêt et un ruban de palétuviers qui démarque les rives du fleuve. Partout il règne une propreté qui impressionne. Une belle route se déroule sous nos yeux. Elle part du pont pour aboutir au kilomètre 4,500. Elle est droite et nivelée, de sorte que l’eau ne peut y séjournée longtemps. En guise de trottoir, on a placé sur le bord de cette route et de chaque côté des potelets qu’on a enfoncés dans la terre. Ces potelets sont tous de même dimension. La forêt en fournit autant qu’on veuille bien lui en prendre. Sur cette route on a installé une voie ferrée de 60 centimètres [de largeur] et deux roulottes à roues de wagonnets. Ces roulottes sont munies de rideaux qu’on laisse tomber quand il pleut. Elles sont traînées par une mule qui ne se fatigue guère car la route est droite, sans montées très rudes ni descentes trop rapides.

On remarque pendant le parcours des marécages qui ont jusqu’à cinq mètres de profondeur par rapport à la terre ferme. Des ponts y ont été placés. Il y en a un qui mesure 60 mètres. Divers ponceaux ont été placés suivant les difficultés du terrain. De chaque côté de la route on aperçoit un déboisement de 50 mètres. A voir l’aspect du sol et les travaux de culture qu’on y a entrepris on a une certaine admiration pour ces travailleurs et surtout pour le capitaine Jourdan qui les dirige et qui est peu sensible aux compliments qu’on lui fait.

– C’est tout naturel, ce que vous voyez là, nous dit-il, j’ai un effectif qui est envoyé ici pour travailler ; il n’y a pas de raison pour qu’il ne travaille pas.
– C’est vrai, mon capitaine. Mais on peut avoir un effectif plus important que le vôtre et avoir un rendement inférieur.
– Certes, oui, car chez nous, il y a de la discipline, de l’ordre, de la méthode.
Puis le capitaine demeure pensif : « Et dire que nous devons bientôt aller recommencer ailleurs ces mêmes expériences, ces mêmes constructions ».
– Où irez-vous, capitaine ?
– Nous devons aller sur le fleuve de Sinnamary en aval du saut Tigre.
– Vous allez donc emporter tout le matériel que vous avez ici ?
– Rien ne sortira d’ici. Nous avons d’autre matériel disponible.
– La nature, malheureusement, va à votre départ reprendre ses droits.
– Nous laisserons ici une équipe de 80 hommes pour l’entretien des terres et des bâtiments et pour la récolte des divers produits.

Et à mesure que nous causons, nous cheminons et faisons les 4 km 500 en moins d’une heure. Trois mamelons s’offrent à notre vue. On les a aplanis, on y a installé des constructions servant de maisons d’habitation pour le capitaine Jourdan, le docteur Dupuy et les divers officiers attachés aux écritures. Sur un autre mamelon, on a placé le logement des tirailleurs sénégalais chargés de la surveillance des travailleurs indochinois. Un troisième mamelon a été utilisé à la construction des logements de ces derniers.

Le capitaine nous avait dit : « Ici nous exigeons de la discipline, de l’ordre, de la méthode ». Rien n’est plus vrai. Quand on est sur le faîte d’un de ces mamelons on aperçoit, en effet, à ses pieds des cultures qui sont placées en flanc de coteau. Dans les endroits humides presque noyés des rizières sic. Chaque plante a le terrain qui lui convient. Cent hectares sont défrichés. Ce coin placé ainsi en pleine forêt, ces coteaux dénudés sculptés par ces Indochinois, ces cultures de toutes sortes, cette brise parfois tiède, parfois fraîche, toutes ces beautés vont donc être abandonnées ; ce sera un lieu pour des réclusionnaires.

Pourtant, il y a un espoir. On recommencera sur le fleuve de Sinnamary. On y travaillera beaucoup plus vite, nous dit le capitaine, grâce à l’expérience acquise. Cependant, quand on a pris le chemin du retour, quand on a quitté la dernière marche de l’escalier de l’appontement pour mettre le pied à bord du canot automobile, on sent, après avoir chaudement serré la main du capitaine Jourdan, que cet homme, qui n’aime pas les compliments, est aussi ému que nous à la pensée qu’il contribue vaillamment au relèvement économique de la Guyane.